Le constat d'une natalité en baisse

Commençons par dresser un état des lieux de la situation démographique actuelle, à l’aide des chiffres les plus récents possibles à notre disposition aujourd’hui. En France, le taux de natalité stagne en dessous du seuil de renouvellement des générations (qui est de 2,05 enfants par femme très exactement) depuis plusieurs décennies. Cette situation n'est pas isolée : de nombreux pays européens, comme l’Albanie (1,21 enfant par femme en 2022), l'Espagne (1,16) ou même Malte (1,08), connaissent une évolution similaire, avec des taux de fécondité parmi les plus bas au monde. Et cela ne concerne pas que les états du sud de l’Europe ou les plus pauvres : le Luxembourg est à 1,31, la Finlande à 1,32, la Lituanie à 1,27, la Pologne à 1,29, la Norvège à 1,41 et la Suisse à 1,29. L'impact de cette baisse de la natalité est considérable. Le vieillissement de la population s'accélère, entraînant une augmentation de la pression sur les systèmes de retraite et de santé… Sur le plan social, la baisse de la natalité pourrait fragiliser le tissu familial, avec de moins en moins de jeunes pour prendre soin d'un nombre croissant de personnes âgées.

Et il faut aussi comprendre que les familles d’origine étrangère, à leur arrivée en France, n’ont pas un taux de fécondité très supérieur à celui des familles dont les parents sont nés en France : l’INSEE nous dit que la descendance finale des femmes immigrées nées entre 1960 et 1974 résidant en France métropolitaine en 2019-2020 est en moyenne de 2,35 enfants, en additionnant les naissances dans leur pays d’origine avant la migration et celles survenues en France après leur arrivée. Par comparaison, les femmes nées en France sans ascendance migratoire directe (ni immigrées ni descendantes d’immigrés) des mêmes générations ont donné naissance à 1,86 enfant au cours de leur vie. Et une génération plus loin, il n’y a plus de différence dans le taux de fécondité…

Il peut être intéressant de comprendre les raisons de cette évolution : la généalogie, en tant que discipline étudiant l'histoire des familles, peut certainement apporter une contribution à cette réflexion.

 

 

 

La généalogie au service de l'étude de la natalité

La généalogie offre une perspective unique sur l'évolution de la natalité à travers le temps. En retraçant l'histoire de votre famille sur plusieurs générations, elle permet de mettre en évidence les changements de taille et de structure des fratries, ainsi que les facteurs qui ont influencé les choix de vie en matière de procréation, de manière plus générale.

Vos données généalogiques telles qu’exposées dans un logiciel comme Généatique, constituent une première source précieuse d'informations. En visualisant les liens de parenté et les dates de naissance, ils permettent de repérer les périodes de forte ou de faible natalité au sein d'une lignée familiale, et de les mettre en relation avec les événements historiques et sociaux de l'époque, comme avec les chronogrammes de Généatique (voir le numéro 101 de Généatique Info, paru en mars 2024, préparé par Philippe Lerebourg). Par exemple, on peut observer une diminution du nombre d'enfants par famille après la Première Guerre mondiale, ou au contraire une augmentation durant les Trente Glorieuses (de la fin de Seconde Guerre Mondiale au choc pétrolier de 1973).

Les registres paroissiaux et d'état civil, qui consignent les naissances, les mariages et les décès depuis des siècles, offrent une matière statistique riche pour étudier les tendances de la natalité sur le long terme. La relève et l'analyse de ces données permet de calculer des indicateurs démographiques tels que le taux de fécondité, l'âge moyen au premier enfant ou l'intervalle entre les naissances, et d'observer leur évolution au fil du temps. Tous ces indicateurs sont calculés et mis en forme automatiquement par le logiciel. Je peux ainsi constater que l'âge moyen au premier enfant a augmenté de manière significative au cours du XXe siècle, passant de 25 ans environ en 1900 à plus de 30 ans aujourd'hui, pour toutes les personnes de ma généalogie. Et vous, avez-vous remarqué cela ? Bien sûr, ce n’est pas à nous, généalogistes, de faire la totalité des relevés et les études statistiques ensuite, mais au hasard de nos recherches, nous avons sûrement déjà beaucoup d’éléments intéressants dans nos bases.

Nos bases de données généalogiques constituent déjà un outil utilisable pour l'analyse quantitative de la natalité. Elles permettent de croiser nos informations généalogiques avec d'autres variables socio-économiques, telles que le niveau d'éducation, la profession ou le lieu de résidence, afin de mieux comprendre les déterminants de la fécondité. Par exemple, on peut étudier si les familles d'agriculteurs avaient tendance à avoir plus d'enfants que les familles d'ouvriers, ou si la natalité était plus élevée dans les régions rurales que dans les villes.

Enfin, nos témoignages et récits familiaux, transmis oralement ou par écrit, apportent une dimension qualitative essentielle à l'étude de la natalité. Ils permettent de comprendre les motivations, les contraintes et les contextes qui ont influencé les choix de vie en matière de procréation (ou l’absence de choix, à mon avis), et de donner un visage humain aux statistiques. Les lettres, les journaux intimes ou les entretiens avec les membres de notre famille peuvent révéler les espoirs, les craintes et les dilemmes auxquels étaient confrontés nos ancêtres face à la parentalité.

 

  

 

 

Les enseignements de la généalogie sur les causes de la baisse de la natalité

Grâce à son approche historique et multidimensionnelle, la généalogie permet aussi de mieux comprendre les causes complexes de la baisse de la natalité. L'évolution des modèles familiaux apparaît comme un facteur clé. La transition du modèle patriarcal traditionnel, caractérisé par des familles nombreuses et une forte natalité, comme on pouvait l'observer dans les familles paysannes du XIXe siècle, vers la famille  moderne, plus petite et centrée sur le couple, a entraîné une diminution significative du nombre d'enfants par femme. Cette évolution s'explique par de multiples facteurs, tels que l'urbanisation, l'industrialisation, l'accès à l'éducation et l'émancipation des femmes. Avez-vous, vous aussi, des histoires de lignées qui ressemblent à cela ? Vous êtes-vous posé la question comme moi des raisons de ces changements ?

Les guerres et les crises économiques ont également joué un rôle majeur dans la baisse de la natalité. En période d'incertitude et de difficultés matérielles, les couples ont tendance à reporter ou à limiter les naissances. L'analyse des arbres généalogiques et des registres d'état-civil permet de visualiser l'impact de ces évènements sur la démographie des familles. On peut ainsi observer une chute brutale de la natalité après la Seconde Guerre mondiale, ou encore avant, durant la Grande Dépression à la fin des années 1930. La crise sanitaire de 2020 a également eu un impact sur la natalité, avec d’abord une petite hausse du nombre de naissances en 2021, puis une baisse plus importante en 2022 et 2023.

L'émancipation des femmes, l'accès à la contraception et l'évolution des mentalités ont aussi profondément transformé les rapports à la maternité et à la parentalité. La possibilité de contrôler sa fécondité a certainement donné aux femmes de nos familles une plus grande liberté de choix en matière de procréation, alors que l'évolution des rôles sociaux leur a ouvert de nouvelles perspectives professionnelles et personnelles, parfois au détriment de la maternité. L'accès à l'éducation et à l'emploi a permis aux femmes de s'épanouir en dehors de la sphère familiale, remettant en question le modèle traditionnel de la femme au foyer. Vous pouvez certainement le voir en analysant des parcours de vie des femmes au sein de votre famille sur plusieurs générations.

Enfin, les mutations socio-culturelles plus récentes, comme l'individualisme, l’envie de se faire plaisir ou la quête de l'épanouissement personnel, ont pu contribuer à reléguer la famille et la natalité au second plan. Dans une société où l'accent est mis sur la réalisation de soi et la liberté individuelle, avoir des enfants est parfois perçu comme une contrainte ou un frein à l'épanouissement personnel. La hausse du coût de la vie et les difficultés d'accès au logement ou aux indispensables places de crèches dissuadent aussi certains couples de fonder une famille.

  

 

Natalité et généalogie : perspectives d'avenir

Face aux futurs défis démographiques, la généalogie peut aider à mieux comprendre les évolutions à venir. Des cas particuliers de nos familles vers le cas général de notre région et de notre pays, elle fournit des données historiques et des analyses fines sur les déterminants de la natalité. Par exemple, l'étude des politiques familiales mises en place dans le passé peut permettre d'évaluer leur impact sur la natalité et d'en tirer des leçons pour l'avenir.

En tant que généalogistes, nous sommes aussi des passeurs de mémoire et des possesseurs d'un savoir unique, et nous avons également un rôle à jouer dans la sensibilisation aux enjeux de la natalité et dans la promotion d'une culture familiale plus positive. En partageant nos connaissances et nos expériences, nous pouvons contribuer à faire évoluer les mentalités et faire passer nos valeurs familiales.

Enfin, les nouvelles technologies, telles que l'intelligence artificielle et l'analyse de données massives, ouvrent de nouvelles perspectives pour la recherche en généalogie et l'étude de la natalité. En permettant de traiter et d'analyser de vastes quantités de données généalogiques et démographiques, elles peuvent aider à identifier de nouveaux facteurs influençant la natalité et à développer des modèles prédictifs plus précis. Par exemple, l'analyse de données généalogiques à grande échelle pourrait peut-être permettre de mieux comprendre l'impact de la génétique sur la fécondité, ou encore d'identifier des facteurs environnementaux qui influencent la natalité. C’était jusqu’à présent difficile à réaliser en raison de l’isolement des données généalogiques, mais les grands sites de mise à disposition des données généalogiques pourraient voir dans les analyses statistiques à grande échelle un possible développement…

 

 

 

La généalogie, en tant que discipline étudiant l'histoire des familles, nous offre une perspective unique sur l'évolution de la natalité. Elle nous rappelle que les choix de vie en matière de procréation sont influencés par une multitude de facteurs historiques, sociaux, économiques et culturels. La natalité est un enjeu collectif qui concerne l'avenir de nos sociétés, et la généalogie nous aide à l'éclairer par le passé pour mieux construire l'avenir. J'espère que vous avez réussi à me suivre sans trop souffrir. N'hésitez pas à partager vos réflexions.

A la prochaine fois....

 

Pour mes recherches, j’ai utilisé les sites suivants pour y trouver les statistiques démographiques que je cite :
Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) 
Eurostat 
Et cet article de Statista