Qu'est-ce que le microchimérisme ? 

Pour commencer, le terme "microchimérisme" est un terme scientifique qui combine deux éléments :

  • micro- : préfixe d'origine grecque signifiant "petit" ou "en petite quantité".
  • chimérisme : fait référence à la chimère, créature mythologique composée de parties d'animaux différents. En biologie, le chimérisme désigne la présence de cellules de génotypes différents dans un même organisme.

Ainsi, le microchimérisme décrit la présence d'un petit nombre de cellules génétiquement distinctes (avec un ADN différent) au sein d'un individu. Ces cellules proviennent généralement d'un autre individu.

Le microchimérisme, c'est donc la présence de deux populations de cellules génétiquement distinctes chez un même individu. En d'autres termes, vous pourriez porter en vous des cellules d'une autre personne, et pas n'importe laquelle : votre mère, un frère jumeau, voire un ancêtre lointain. Comme le souligne le Dr. J. Lee Nelson, chercheuse pionnière dans le domaine, "Le microchimérisme est une forme naturelle de transplantation cellulaire qui se produit dans des circonstances spécifiques, comme la grossesse ou la transplantation d'organe."

Ce phénomène, longtemps méconnu, est plus fréquent qu'on ne le croit. Il se produit principalement lors de la grossesse, lorsque des cellules du fœtus passent dans le corps de la mère, et vice-versa. Ces cellules, véritables voyageurs du temps, peuvent persister pendant des décennies, voire toute une vie, se nichant dans différents organes et tissus, tels que le sang, le cœur, le cerveau et même la peau. Elles s'intègrent discrètement dans notre organisme, participant à notre fonctionnement biologique sans que nous en ayons conscience.

On va pouvoir parler de micro-chimérismes, au pluriel, car une mère va échanger des cellules avec son premier né (dont des cellules venant de sa propre mère), puis des cellules (dont celles de son premier enfant, plus celles de sa propre mère) avec son second enfant, etc. Cela fonctionne aussi avec des cellules extérieures, lors d'une transfusion de sang ou d'une greffe d'organe par exemple.

 

 

 

Les origines du microchimérisme : un voyage à travers le temps et les liens familiaux

Le microchimérisme peut provenir de différentes sources, chacune racontant une histoire unique de connexion humaine :

Microchimérisme fœtal-maternel : Le plus courant, il résulte de l'échange de cellules entre la mère et le fœtus pendant la grossesse. Imaginez une mère portant en elle les cellules de son enfant, même des années après sa naissance, un lien biologique invisible mais puissant. Ces cellules fœtales, véritables messagers du passé, peuvent influencer la santé de la mère, contribuant à la réparation des tissus endommagés ou, dans certains cas, déclenchant des réactions immunitaires.

Microchimérisme entre jumeaux : Chez les jumeaux dizygotes (faux jumeaux), un échange de cellules peut se produire in utero, créant un chimérisme sanguin où chaque jumeau possède une proportion variable de cellules sanguines de son frère ou de sa sœur. C'est comme si les jumeaux partageaient un secret biologique, un héritage commun qui les unit au-delà de la simple ressemblance.

Microchimérisme par transfusion sanguine : Bien que rare, une transfusion peut introduire des cellules du donneur chez le receveur. Une personne ayant reçu une transfusion pourrait ainsi porter en elle une partie de l'histoire génétique d'un inconnu, un donneur anonyme qui a contribué à sa survie. Ces cellules, témoins d'un acte altruiste, peuvent persister dans le corps du receveur pendant des années, voire des décennies.

 

Combien de cellules étrangères portons-nous ? 

Le corps humain adulte est composé d'environ 30 000 milliards de cellules. C'est un nombre colossal, difficile à imaginer, mais qui témoigne de la complexité et de la diversité de notre organisme. Il est important de noter que ce chiffre est une estimation, car le nombre exact de cellules peut varier en fonction de l'âge, du sexe, de la taille et de l'état de santé de chaque individu. De plus, le corps humain est en constante évolution, avec des cellules qui meurent et sont remplacées en permanence.

La quantité de cellules microchimériques varie considérablement d'un individu à l'autre et selon l'origine du microchimérisme. Dans le cas du microchimérisme fœtal-maternel, les cellules fœtales peuvent représenter jusqu'à 1 cellule pour 100 000 cellules maternelles dans le sang, mais cette proportion peut être plus élevée dans d'autres tissus, comme la thyroïde ou le foie. Ce qui ferait jusqu'à 300 milliards de cellules externes venant du bébé dans le corps de la mère. C'est à peine concevable.... Chez les faux-jumeaux, la quantité de cellules échangées peut varier de quelques cellules à une proportion significative, pouvant atteindre jusqu'à 50 % dans certains cas extrêmes.

La détection de ces cellules nécessite des techniques d'analyse génétique sophistiquées, capables d'identifier de subtiles différences entre l'ADN du sujet et celui des cellules étrangères. Ces techniques, telles que la réaction en chaîne par polymérase (PCR) ou le séquençage de nouvelle génération (NGS), permettent de détecter des quantités infimes de cellules microchimériques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour la recherche et le diagnostic médical.

 

 

 

Le microchimérisme et la généalogie : une révolution en marche, à la recherche de nos racines cachées

Le microchimérisme bouleverse notre conception traditionnelle de la généalogie, basée sur la transmission linéaire de l'ADN. Il ouvre de nouvelles perspectives et soulève des questions fascinantes :

Une personne pourrait porter des cellules d'un ancêtre éloigné, brouillant les pistes généalogiques. Imaginez découvrir que vous portez les cellules de votre arrière-arrière-grand-mère, une femme dont vous ignoriez l'existence. Cette découverte pourrait bouleverser votre arbre généalogique et vous amener à reconsidérer votre histoire familiale. Bonjour la complexification de votre généalogie !

Les tests ADN pourraient être faussés par la présence de cellules étrangères. Un test de paternité pourrait révéler un lien biologique avec une personne qui n'est pas le père biologique, mais qui a transmis ses cellules à la mère pendant une grossesse précédente. Cela soulève des questions éthiques et juridiques complexes, remettant en question la fiabilité de ces tests dans certains cas.

Le microchimérisme pourrait jouer un rôle dans certaines maladies génétiques : maladies auto-immunes ou cancers. Des cellules fœtales présentes dans le corps de la mère pourraient déclencher une réaction immunitaire anormale, contribuant au développement de maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques ou le lupus.

 

L'impact psychologique : quand nos ancêtres vivent en nous, un héritage émotionnel

L'idée de porter en soi des cellules de ses ancêtres peut susciter des émotions complexes et des réflexions profondes :

- Sentiment de connexion :

Certaines personnes ressentent un lien renforcé avec leurs ancêtres, comme si elles portaient une partie d'eux en elles. C'est comme si le passé s'incarnait dans le présent, créant un sentiment de continuité et d'appartenance. Cette connexion peut être particulièrement forte chez les mères qui portent les cellules de leurs enfants, renforçant le lien maternel au-delà de la naissance. Et je vais vous avouer que j'ai eu l'impression de trouver une justification à mon intérêt de toujours pour la généalogie en découvrant le micro-chimérisme...

- Questionnement identitaire :

Le microchimérisme peut amener à s'interroger sur sa propre identité biologique et génétique. Qui suis-je réellement si je porte des cellules d'un autre individu, même en faibles quantités ? Est-ce que ces cellules influencent ma personnalité, mes goûts, mes aptitudes ? Ces questions, certes troublantes, peuvent aussi être une source de réflexion et de découverte de soi. 

- Curiosité et émerveillement :

Pour d'autres, c'est une source de fascination face à la complexité du corps humain. Le microchimérisme nous rappelle que nous sommes bien plus que notre propre ADN, que nous sommes le fruit d'une histoire biologique complexe et fascinante. Cette découverte peut susciter un sentiment d'émerveillement face à la beauté et à la diversité de la vie.

- Inquiétude et rejet :

Dans certains cas, la présence de cellules étrangères peut susciter de l'inquiétude, voire un sentiment de rejet. Certaines personnes pourraient craindre que ces cellules ne perturbent leur équilibre biologique ou ne remettent en question leur identité. Je rappelle que le microchimérisme est un phénomène naturel et généralement bénin, mais je peux comprendre que certains d'entre nous ne sont pas à l'aise avec cela...

 

 

Les défis de la recherche : explorer les mystères du microchimérisme

L'étude du microchimérisme en est encore à ses débuts. Les chercheurs ( et pas seulement concernés par la biologie cellulaire) devront relever de nombreux défis :

Les cellules microchimériques sont souvent présentes en faible quantité, ce qui rend leur détection difficile. De nouvelles techniques d'analyse génétique sont nécessaires pour identifier et quantifier ces cellules avec précision. Il va falloir travailler sur le sujet dans les décennies à venir.

Par ailleurs, il faudra aussi passer du temps pour éclaircir la signification biologique et psychologique du microchimérisme. On peut se poser toute une série de questions, au sujet des conséquences de la présence de cellules étrangères dans notre corps, de leur influence sur notre santé, notre développement, ou notre personnalité... Répondre à ces questions nécessitera probablement des études à long terme, sur de larges nombres de personnes, explorant les liens potentiels entre le microchimérisme et divers aspects de la santé et du comportement.

 

Vers une nouvelle ère de la généalogie : le microchimérisme comme clé de notre passé et de notre avenir

Le microchimérisme nous ouvre les portes d'un nouveau chapitre de la généalogie, un chapitre où la science et l'émotion se rencontrent, où les histoires familiales se racontent à travers les cellules qui nous habitent. C'est une invitation à explorer notre héritage caché, à découvrir les liens invisibles qui nous unissent à nos ancêtres et à embrasser la complexité de notre être.

Il est possible qu'un jour, le microchimérisme s'intégre dans nos recherches généalogiques, nous pourrions non seulement retracer des branches oubliées ou indétectables auparavant, mais aussi mieux comprendre les interactions complexes entre les générations, les influences subtiles qui se transmettent de mère en enfant, et les liens biologiques qui transcendent le temps.

En médecine également, le microchimérisme pourrait également avoir des implications importantes : en comprenant mieux le rôle de ces cellules étrangères dans notre corps, nous pourrions développer de nouvelles thérapies pour les maladies auto-immunes, les cancers et d'autres affections. Les cellules microchimériques pourraient même être utilisées pour régénérer des tissus endommagés ou pour renforcer notre système immunitaire. Mais cela risque de prendre du temps et cela ressemble encore à un rêve....

 

 

 

 

En conclusion, le microchimérisme nous rappelle que nous sommes bien plus que notre propre ADN, que nous sommes le fruit d'une longue histoire biologique où les frontières entre les individus s'estompent. Comme l'écrit le biologiste Lewis Thomas, "Nous sommes des mosaïques, des assemblages de cellules qui ont appartenu à d'autres êtres vivants."

Cette découverte nous invite à l'humilité, à reconnaître que nous ne sommes pas des entités isolées, mais des êtres interconnectés, liés à notre passé et à notre environnement. Elle nous invite aussi à l'émerveillement face à la complexité et à la beauté de la vie, à la capacité de notre corps à accueillir et à intégrer des cellules étrangères, à créer de nouvelles formes de vie à partir de la rencontre de deux êtres.

Le microchimérisme est bien plus qu'un simple phénomène biologique. C'est une histoire d'amour et de transmission. C'est l'histoire de nos ancêtres qui vivent en nous, de leurs cellules qui continuent à nous influencer, à nous protéger, à nous façonner. C'est une histoire qui nous rappelle que nous ne sommes jamais seuls, que nous portons en nous l'héritage de ceux qui nous ont précédés, et que nous avons le pouvoir de transmettre cet héritage aux générations futures.