1. Un voyage dans le temps : l’histoire mouvementée de l’abandon d’enfants
L’histoire de l’abandon d’enfants est aussi vieille que l’histoire de l’humanité. Si le phénomène était relativement marginal au XVIIe siècle (372 enfants à Paris en 1640, ce qui est déjà beaucoup !), il a littéralement explosé au XVIIIe siècle, atteignant des proportions alarmantes (7 690 enfants en 1772 et un pic vertigineux de 35 863 en 1831). À l’échelle nationale, les estimations donnent le tournis : environ 40 000 abandons à la veille de la Révolution française, et un chiffre qui a plus que triplé en quelques décennies, atteignant 131 000 en 1833.
Au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, les pratiques étaient particulièrement cruelles : les enfants étaient souvent exposés dans des lieux publics, livrés à eux-mêmes ou déposés aux portes des monastères, dans l’espoir que les moines leur offriraient un peu de charité. En France, la responsabilité des enfants trouvés incombait théoriquement aux seigneurs sur leurs terres, mais beaucoup se dérobaient à cette obligation, laissant les pauvres enfants à leur triste sort. Il faut souligner que les institutions d’accueil n’étaient pas toujours ouvertes à tous. L’Hôpital du Saint-Esprit, fondé en 1362 à Paris, n’accueillait initialement que les enfants légitimes, et il a fallu attendre le règne de François Ier pour que les enfants trouvés soient admis.
Au XVIIe siècle, les autorités belges se préoccupaient d'éduquer les enfants confiés à l'assistance publique, de leur apprendre un métier et de favoriser leur insertion sociale. Cependant, au XVIIIe siècle, face à l'augmentation considérable du nombre de ces enfants, l'approche changea radicalement : les autorités cherchèrent davantage à s'en décharger en les envoyant à la campagne. Contrairement à la vision du XVIIe siècle qui considérait ces enfants comme une potentielle main-d'œuvre, le XVIIIe siècle les percevait principalement comme un fardeau, d'autant plus lourd que leur nombre comprenait une proportion importante d'individus atteints de diverses déficiences physiques ou mentales (aveugles, déficients intellectuels, rachitiques, estropiés ou ayant des malformations). Ces derniers restaient parfois à la charge de l'administration des Enfants trouvés pendant des durées très longues, allant jusqu'à 40 ans et plus. Désormais, la pratique générale était de placer tous les enfants indistinctement en nourrice à la campagne, chez des cultivateurs ou des artisans, en échange d'une rémunération. EN France comme en Belgique, on appelle « enfants trouvés » les enfants à peine nés ou plus ou moins âgés exposés ou abandonnés dans un lieu public (de parents inconnus) et « enfants abandonnés » ceux que leurs parents ont cédés à l’assistance publique en renonçant à tout droit sur eux (parents identifiés). Trouvés et abandonnés pouvaient être les enfants légitimes de couples mariés ou le fruit d’unions libres, peu importe. Bien plus que l’illégitimité c’est la pauvreté, aggravée par la disette, les grands froids ou le chômage qui contraignait les parents à se séparer de leurs enfants...
La Révolution française a marqué un tournant décisif dans la prise en charge de ces enfants. La loi du 28 juin 1793 a proclamé que la Nation était responsable d’eux, mettant fin à la discrimination entre orphelins et enfants « sans nom ». Tout a ensuite été centralisé en France sous l'Assistance Publique à partir de 1811.
Au fil des siècles, les institutions ont évolué. Les fameux « tours d’abandon » ou « tours d’exposition », qui permettaient de déposer un enfant anonymement, ont progressivement disparu, et leur abolition définitive a été prononcée par la loi du 27 juin 1904 en France. Celui de l'Hospice des Enfants Trouvés de Bruxelles avait été interdit en 1843. Parallèlement, des mesures sociales ont été mises en place pour tenter de réduire les abandons, comme le versement d’aides aux filles mères à partir de 1863.
L'« accouchement sous X » a été reconnu légalement en France par la loi du 8 janvier 1993, alors qu'en Belgique, l'accouchement anonyme est interdit depuis 2017, enforçant l'obligation de transmission d'informations non identifiantes.
2. Les archives : un trésor bien gardé
Le généalogiste en quête d’un enfant trouvé doit se transformer en archiviste chevronné. Il va falloir explorer des fonds documentaires parfois vastes et complexes, mais riches en informations précieuses.
La diversité des documents : Reportez vous aux Archives Départementales, dans les séries X (3X pour enfants assistés, 4X pour tutelles) et Q en France. Les Archives de Paris, par exemple, centralisent une grande variété de documents concernant les enfants assistés : registres des enfants trouvés, des pupilles de l’Assistance, des enfants abandonnés secourus ou placés en dépôt temporaire. Chaque catégorie correspond à une réalité différente, et il est important de bien les distinguer pour orienter ses recherches. Pour la Belgique, adressez-vous aux Archives communales et Centres publics d'action sociale, vous y trouverez des documents dispersés selon les institutions locales, avec notamment des Registres par hospice (comme pour l'Hospice de Bruxelles depuis 1595 avec les Procès-verbaux de découverte).
Les séries chronologiques : Pour faciliter la navigation dans ces archives, les documents sont généralement organisés en séries chronologiques. On trouve ainsi des répertoires alphabétiques, qui permettent de retrouver un enfant à partir de son nom (ou du nom qui lui a été attribué), et des registres chronologiques d’admission, qui enregistrent les arrivées des enfants au fil des ans.
La méthodologie de recherche, exemple pour les Archives de Paris : Voici une feuille de route détaillée pour mener vos investigations :
- La première étape consiste à retrouver le numéro de matricule de l’enfant. Pour cela, il faut consulter les répertoires alphabétiques en ligne, en indiquant le nom (si vous le connaissez) et l’année d’admission, après avoir identifié le service compétent (Enfants trouvés/Assistés/Dépôt)
- Une fois le numéro de matricule en main, il faut se plonger dans les registres chronologiques correspondants pour confirmer l’identité de l’enfant et obtenir des informations de base sur son arrivée (date, lieu de découverte, etc.) Les registres matricules sont complets en pour la Seine (1689-1930).
- Les dossiers individuels, conservés en salle de lecture, contiennent des informations plus détaillées sur le parcours de l’enfant : son placement en nourrice, son apprentissage, les éventuelles démarches entreprises par ses parents biologiques, etc. Il est conseillé de les examiner car ce sont parfois des mines d’or pour le généalogiste, mais ils ne sont malheureusement pas toujours numérisés, ce qui implique de se déplacer aux archives. Pour cela, vérifiez à l'aide du numéro de matricule qu'un dossier individuel existe bien et récupérez la côte du document à demander sur les inventaires en ligne, classés par catégorie d'admission et par année. On y découvre parfois le parcours institutionnel (placement en nourrice, apprentissage forcé, éventuelles fugues), de rares traces des parents biologiques (objets laissés par les parents biologiques, parfois une lettre désespérée, une tentative de reprise de l’enfant), et quelques drames cachés : enfants perdus pendant l’exode de 1940, orphelins de guerre, ou petits vagabonds arrêtés pour mendicité.
D'autres dossiers ne contiennent que très peu d'informations, ne soyez pas trop déçus. Pensez aussi aux fiches signalétiques pour enfants perdus en France entre 1940 et 1945.; pour le même sujet en Belgique, la Croix-Rouge et les services sociaux ont mené des recherches similaires, mais avec moins de traces archivées.
- Il y a aussi les dossiers d'agence, qui comportent d'autres détails sur la vie de l'enfant dans son enfance, ceux qui sont aux Archives de Paris sont identifiables en ligne jusqu'en 1943 (Cote D6X4). D'autres sont aux AD du Val de Marne.
Certains sites Internet des AD comme celui des Archives Départementales du Rhône sont plus avancés puisqu’ils permettent de consulter en ligne les registres matricules et dossiers individuels d’enfants abandonnés ou assistés dans certaines conditions. Vérifiez pour votre département !
Un enfant né sous X à Paris en 1980 disposera d'un dossier complet aux Archives de Paris, tandis qu'un enfant abandonné à Bruxelles la même année nécessitera des recherches dans les archives de la commune et de l'hôpital concerné, avec des informations souvent plus fragmentaires. (Registres souvent limités aux admissions/décès)
En effet, en Belgique, vous commencerez par effectuer une recherche communale dans les registres d'état civil, puis vous tenterez de consulter les archives hospitalières éparses. Vous pourrez aussi vérifier les fonds des CPAS et des œuvres religieuses locales (qui ont parfois des doubles registres). Les Procès-verbaux de découverte sont souvent bilingues, mais il y a moins de documents sur le parcours institutionnel. Par exemple, un enfant trouvé à Nantes en 1816 aura un dossier complet avec PV de police, tandis qu'un enfant recueilli à Bruxelles la même année ne disposera souvent que d'une entrée dans un registre chronologique. Cette divergence reflète deux modèles : une approche française centralisée et normée contre un système belge décentralisé et moins standardisé.
Les restrictions d’accès : Les archives ne sont pas toujours accessibles librement. Il existe des délais de communication, qui varient en fonction de la nature des documents. En général, en France, il faut attendre 50 ans après la clôture du dossier pour pouvoir le consulter. Ce délai peut être prolongé jusqu’à 120 ans après la naissance de l’enfant si le dossier contient des informations relevant du secret médical. Mais il est possible de demander une dérogation dans certains cas. C'est à tenter... L'accès aux origines n'est pas identique dans nos deux pays : En France, le CNAOP (Conseil National d'Accès aux Origines Personnelles) opère depuis 2002, avec un délai de communication de 100 ans, et la possibilité d'obtenir une dérogation. En Belgique, il existe un droit d'accès aux origines depuis 2017 sauf veto maternel enregistré, mais il n'y a pas d'organisme centralisé équivalent au CNAOP. Et les délais de communication varient selon les communes.
Les outils à votre disposition : Les Archives de Paris ont mis en ligne des instruments de recherche détaillés et un guide méthodologique, qui constituent une aide précieuse pour s’orienter dans ces fonds complexes. N’hésitez pas à les consulter, ils sont conçus pour vous faciliter la tâche. Et n’oubliez pas que certains registres ont été numérisés par des bénévoles et sont disponibles sur Internet. La solidarité généalogique, ça existe !
3. Les pièges à éviter, les fausses pistes et les joies de la découverte
La recherche d’un enfant trouvé est un parcours semé d’embûches, mais aussi de petites joies et de découvertes inattendues. Parmi les pièges à éviter, il y a d'abord la confusion entre adoption et placement temporaire. Il est crucial de bien distinguer les enfants qui ont été définitivement abandonnés de ceux qui ont été placés temporairement dans une institution (par exemple, en raison de la maladie ou de l’indigence des parents). Les documents ne sont pas les mêmes, et les démarches de recherche seront différentes. Et on trouve aussi le piège de la négligeance des voisins. Les parents biologiques d’un enfant abandonné vivaient parfois à proximité de l’endroit où il a été trouvé, voire même maintenaient le contact. Si vous êtes en situation de rechercher les ancêtres d'un enfant abandonné ou trouvé, ne négligez pas ces pistes, et essayez de reconstituer le contexte social de l’époque.
Les noms attribués aux enfants constituent parfois des fausses pistes. En dehors du nom de la personne en charge ou du nom du saint du jour, les enfants trouvés recevaient parfois des noms fantaisistes, choisis par les employés de l’Assistance publique ou autre personne en charge. Si vous découvrez un ancêtre prénommé « Napoléon » ou « Cléopâtre », vous comprendrez bien tout seul qu'il y a peu de chances qu’il ait un lien direct avec les personnages historiques. Mais si le nom de l'enfant est celui de la mère supérieure du couvent ou celui du Baron local, c'est plus souvent pour faire honneur à ces derniers que parce que l'enfant est leur rejeton. Dans les fausses pistes, je peux citer aussi les légendes familiales. Elles ont la vie dure, et il n’est pas rare d’entendre des récits romanesques sur les origines d’un enfant trouvé (« il a été déposé dans un panier d’osier », « il portait un médaillon en or », etc.). Méfiez-vous des embellissements et essayez de vous en tenir aux faits avérés.
Même dans les difficultés de retrouver des informations, il arrivent parfois que des découvertes intéressantes aient lieu. Ce peut être des objets laissés avec l’enfant. Parfois, la mère biologique laissaient un objet personnel avec l’enfant (un bijou, un morceau de tissu, une lettre). Ces objets, conservés dans les archives, ou seulement listés, peuvent constituer des indices précieux, voire des sources d’émotion intense. Et il y aussi des témoignages. Les dossiers individuels contiennent parfois des témoignages poignants sur les circonstances de l’abandon, les sentiments des parents, les espoirs placés dans l’avenir de l’enfant. Ce sont des moments de grâce pour le généalogiste, qui se sent soudainement connecté à l’histoire de son ancêtre. Mais attention à ne pas trop espérer, pour ne pas être déçu.
4. L’ADN : un outil révolutionnaire… et parfois déstabilisant
Les tests ADN sont devenus des outils incontournables de la généalogie moderne, et ils peuvent s’avérer particulièrement utiles dans la recherche des origines d’un enfant trouvé. POur les généalogistes français, ce n'est pas facile à utiliser en raison de la législation actuelle, mais les généalogistes belges n'ont pas ce problème.
Les avantages de l’ADN :
- En comparant votre ADN avec celui d’autres personnes, vous pouvez identifier des cousins éloignés, qui partagent peut-être des ancêtres communs avec l’enfant trouvé.
- Des outils comme WATO (« What Are The Odds ») permettent d’estimer la probabilité de différents liens de parenté, ce qui peut vous aider à affiner vos recherches.
- Si vous suspectez un lien particulier (par exemple, un lien paternel), vous pouvez tester l’ADN de la lignée masculine (Y-ADN) ou féminine (ADNmt) pour obtenir des informations plus ciblées.
Les limites et les surprises de l’ADN :
- L’ADN peut révéler des surprises, comme l’existence d’un demi-frère ou d’une demi-sœur inconnu, ou encore une origine géographique différente de celle que vous imaginiez.
- Il arrive que l’ADN dévoile des secrets de famille bien gardés, comme une adoption cachée ou une filiation illégitime. Préparez-vous à affronter les non-dits et les révélations parfois déstabilisantes.
Vous connaissez peut-être déjà l'exemple de l’histoire de Greg Clarke, qui a résolu le mystère de son ancêtre italien trouvé en Calabre grâce aux tests ADN. En éliminant les correspondances ADN de la famille de l’épouse de son ancêtre, il a fini par découvrir l’existence d’un frère caché, lui aussi enfant trouvé. Mais cela ne veut malheureusement pas dire que tous les chercheurs trouveront des réponses à leurs interrogations.
La recherche d’un enfant abandonné ou trouvé est une aventure généalogique hors du commun. Retrouver un enfant trouvé, c’est comme assembler un puzzle dont la moitié des pièces manquent. On avance par recoupements, hypothèses et coups de chance. C’est un défi, certes, mais c’est aussi une expérience profondément humaine, riche en émotions et en découvertes. Alors, armez-vous de patience, de persévérance, d’un brin de curiosité et d’une bonne dose d’autodérision. N’oubliez pas que la généalogie est aussi une source de joie et d’émerveillement.
5. Quatre parents, c'est possible dans Généatique 2025
Même si le modèle d'arbres que vous utilisez ne le prévoit pas, c'est possible de demander l'affichage des 4 parents d'une personne dont vous auriez trouvé à la fois les parents adoptifs et les parents biologiques. La présentation n'est pas toujours parfaite, mais tout est prévu pour enregistrer toutes les données que vous pourrez trouver.
Note sur l'utilisation actuelle des tours d'abandon (oui, je sais, ça peut paraître horrible, mais je vous en prie, lisez quand même...)
En Allemagne, le premier tour d'abandon moderne a été mis en place à Hambourg, dans le quartier d'Altona, en avril 2000, suite à la découverte en 1999 de plusieurs nouveau-nés décédés d'hypothermie après avoir été abandonnés. Ce dispositif consiste en un lit chauffé, ou au moins isolé thermiquement, accessible depuis l'extérieur du bâtiment, où un bébé peut être déposé en toute confidentialité. Lorsqu'un bébé est placé dans ce lit, un court délai est observé pour permettre à la personne qui l'a déposé de s'éloigner sans être identifiée. Ensuite, des capteurs situés dans le lit déclenchent une alarme discrète, alertant ainsi le personnel soignant qui prend immédiatement en charge le nouveau-né. Durant les huit premières semaines, la mère a la possibilité de revenir récupérer son enfant sans encourir de poursuites judiciaires. Si elle ne se manifeste pas dans ce délai, l'enfant est proposé à l'adoption. En 2005, les tours d'abandon de Hambourg ont accueilli 22 bébés, dont sept ont pu être rendus à leurs mères, et on en trouve alors 80 dans le pays. En Belgique une association a installé cette tour dans le district d'Anvers, sous le nom de « Panier de Moïse des mères ». Entre 2000 et 2021, celle-ci a accueilli dix-neuf bébés. Aux États-Unis, quelques États ont installé un système similaire dans les hôpitaux et les casernes de pompiers. En Italie ces tours sont appelées « Culle per la vita » ; on en trouve plusieurs à Rome près des pharmacies. Au Japon, elles existent aussi et s'appellent « Berceau de la cigogne » ou « Bébé pour la vie ». Et fin 2011, le ministère de la Santé russe a décidé d'en équiper les hôpitaux russes. Aujourd'hui, il y aurait environ 200 « baby-box » à travers plus de dix pays (dont également l’Afrique du Sud, la Suisse, la Pologne, la Corée du Sud, la Tchéquie). Au total, 400 nouveaux-nés auraient été abandonnés via des « baby-box ». Si cela aide à sauver une, voire deux vies avec celle de la mère, ce n'est pas inutile. C'est mieux que la mort du nourrisson ou le suicide de la mère.
Cela fait polémique bien sûr, l’Organisation des Nations Unies estime en effet que l’abandon anonyme prive l’enfant de son droit fondamental de connaître ses parents, et recommande l'augmentation des efforts de prévention et d’encadrement des femmes en détresse. D’autres interrogent le consentement de la mère à cet abandon qui est souvent accompli par des proches.